Qui ne serait pas touché, affecté, par la tragédie qui s'est déroulée mercredi matin dernier ? Que l'on connaisse ou pas directement les personnes exécutées de sans froid par des fous, ce massacre incarne dorénavant de nouvelles craintes : la gratuité de la violence meurtrière, en plein jour, en plein coeur de la capitale, sans que personne n'ait pu faire quoi que ce soit.


Le fond et la forme :


Il est trop fréquent, au-delà du slogan habituel, de voir fleurir autour de soi les mêmes expressions de mise en garde de dérives suite au drame. Merci bien, mais qu'en est-il exactement ? Car on en est là : une personne qui vote FN, continuera à le faire. Ce terrible fait d'actualité ne fera juste que lui donner la confirmation qu'il est dans le vrai. Inversement, ceux qui craignent ce parti totalitaire verront de ce drame la confirmation qu'il faut s'unir. Chacun y voit donc que ce qui ne peut qu'ajouter de l'eau à son propre moulin. Pourquoi ? Parce qu'en réalité, ce drame n'est en aucun cas politique, "politisable". Ainsi, il est aisé de naturellement l'adapter à ses valeurs politiques, et y voir une menace des autres partis, vu qu'on peut politiquement faire dire tout et n'importe quoi à un évènement qui n'a rien de politique en soi.


La "récupération" de cet évènement ne concerne d'ailleurs pas que les politiciens : ils ne sont pas seuls à pouvoir "profiter" d'une telle tragédie. En effet, depuis maintenant plusieurs jours, c'est le pain quotidien des "journalistes conventionnels", qui trouvent ainsi de quoi river les téléspectateurs/lecteurs/internautes derrière la moindre des révélations. A grand renforts d'interviews traumatisantes, de moments stressants en direct, d'images choc, d'enregistrements audio en exclusivité, ... les journalistes se gavent de la peur et du sentiment d'appartenance à un groupe uni pour en faire leur choux gras.






















Comment oser prétendre partager la peine des familles des morts, comment se dire choqué par ces actes de barbarie, lorsqu'on espère voir (et qu'on finit par le faire) une mort en vrai ? Comment peut-on se dire soutenir la peine des familles et amis de ces défunts, lorsqu'on sait que ces personnes ne peuvent pas échapper aux images, sons et commentaires sur la mort de leurs amis, mari, père ? L'omni-présence malsaine et irrespectueuse de ces "informations" qui n'en sont pas est purement ignoble. Nous avons ici de l'audimat en concentré.


Nous avons ici l'aboutissement hypocrite de la curiosité glauque sur la fausse forme d'information. Et lorsque, pour obtenir ces exclusivités, certains journalistes n'hésitent pas à gêner les efforts de la police, à montrer les détails des interventions quitte à les faire échouer (vu que les terroristes peuvent se renseigner aisément sur le mouvement des forces de l'ordre), à aider que la parole de fanatiques qui appellent au meurtre soit répandue plus efficacement, ... comment peut-on penser qu'il s'agit là d'information, de journalisme ?


Remercions ici aussi le groupuscule "masqué" Anonymous qui prétend parler pour le peuple (je n'appartiens donc pas au "peuple" car je ne me suis jamais senti représenté par ces hackers qui se pensent au-dessus des lois), et qui, pour les valeurs de transparence et de liberté tout en étant retranché derrière l'un des concepts les plus conformistes et anti-individualistes qui soient, se permet d'interférer sur les enquêtes en attaquant les serveurs hébergeant des données clefs permettant de remonter les réseaux terroristes.



























Une chose est sûre, jamais aucun des journalistes de Charlie Hebdo n'aurait imaginé qu'un jour leur magazine serait, suite aux atroces circonstances, un emblème réunificateur d'une très grande partie de la population. A cela, ils en auraient été tout aussi surpris que fiers, à n'en pas douter. En revanche, l'anti-conformisme de ce journal a lui seul prouve que le mouvement de masse d'uniformisation de la pensée et de sa manifestation tout aussi uniforme n'aurait en aucun cas été apprécié. Car lorsque l'on parle de Liberté, on inclue inexorablement les notions de diversité et d'individualité.


Charlie Hebdo a été (et sera toujours) un journal satiriste, hautement athée, aux dessins et couleurs criards et aux idées, souvent particulièrement vulgaires, assénées sans aucun compromis. Un journal à la personnalité forte, qui aura fait couler beaucoup d'encre depuis qu'il existe, tant il aura été décrié par tout un chacun y ayant vu tôt ou tard une critique acerbe de ses propres valeurs. Charlie Hebdo a donc toujours revendiqué et assumé sa marginalité éditoriale.


























Les mots ont une force, un pouvoir. Ils incarnent avec précision les pensées et valeurs parfois mieux que les actes. Lorsque l'on dit "Je soutiens les idées de Charlie Hebdo" ou "J'ai peur de voir disparaître les Libertés individuelles", les propos illustrent parfaitement le ressenti. Lorsqu'on dit "Je suis ...", on affirme que la suite de la phrase représentera CE qu'on est, pour peu que ce soit un qualificatif ("Je suis triste", "Je suis humain", "Je suis gay", ...), mais lorsque cette expression est suivi d'un nom propre, on se définit par ce nom qui devient notre IDENTITÉ.


"Je suis Yannick", car tel est mon nom. Ce nom, choisi à ma naissance, me représente, en tant qu'individu. Il représente QUI je suis. Je peux opter pour "Je suis Yazorius", vu que ce pseudonyme est un choix de nom qui est, là-encore, une représentation de qui je suis. "Yannick" et "Yazorius" me correspondent, ils sont la représentation verbale de ma propre personne.


Le slogan "Je suis Charlie" est intelligemment prévu, par sa structure grammaticale. Il vise à regrouper les gens sous la bannière de valeurs démocratiques, certes. En soi, ce n'est pas gênant. Là où ça commence à poser des problèmes, c'est que l'expression ôte à celui qui la dit, pense, écrit, sa personnalité propre, son identifiant personnel, son nom, pour le fondre dans une masse communautaire sans visage, sans diversité, sans forme.


Ne pas être "Je suis Charlie" ne stipule pas que l'on soit contre les valeurs républicaines, ou qu’on ose soutenir les actes terroristes et barbares. Chacun peut ne pas vouloir porter un tel slogan, pour des raisons diverses. Sur Internet, un "Je ne suis pas Charlie" est apparu pour contrer ce mouvement. Mais hélas, motivé principalement par des préceptes religieux ou politiques, cette phrase d'opposition est devenue elle-aussi un slogan. Un slogan rapidement défait de toute son sens premier, et finalement nuisant aux valeurs qui pouvaient motiver à l'origine.


















































Je n'ai jamais été "Je suis Charlie", car ne me reconnais pas dans la perte d'identité. J'ai beau partager les valeurs, la tristesse, le choc, et les valeurs du magazine, ... je ne peux pas personnellement déposer QUI je suis pour devenir un autre, identique à l'ensemble des autres. Cela va à l'encontre d'autres de mes valeurs, valeurs "individualisantes", valeurs que justement Charlie Hebdo a toujours soutenues et revendiquées. Peut-on d'ailleurs, à mon sens, honorer les défunts d'un magazine par une manifestation diamétralement opposée à son esprit ?


Je ne suis plus non-plus "Je ne suis pas Charlie", car sitôt que cette phrase est devenue un slogan, une façon de se définir par opposition, et que cette négativité identitaire est devenue la bannière des religieux et politicards malsains, je ne me suis plus senti représenté. A défaut d'être l'étendard de la masse conformiste majoritaire, cette phrase est devenue l'étendard de la masse conformiste minoritaire. Or je ne me considère pas, et ne me considèrerai jamais comme élément d'une masse à la volonté conformiste, quelle qu'elle soit.





















Je n'empêche personne de revendiquer sa perte d'identité pour rejoindre une masse conformiste. Je ne désire en aucun cas limiter les possibilités à chacun d'exprimer son appartenance à un mouvement. Mais, pour être certain de ne pas me retrouver contre ma volonté embrigadé dans un mouvement informe, tout en partageant ma tristesse, mes craintes face aux divers drames depuis mercredi, je ne vois qu'une solution : réaffirmer qui je suis. Réaffirmer mon identité, mon individualité, et ainsi mettre en avant l'ensemble de toutes les valeurs qui me représentent, tant dans la forme que dans le fond. C'est là-aussi ma liberté. Je ne suis pas "Je suis Charlie". Non. Et cela ne fait pas de moi un Monstre pour autant. "Je suis Yannick", et ça suffit amplement pour montrer, si besoin est, ma souffrance et mes craintes au Monde, mon soutien aux familles des défunts ainsi qu'aux valeurs de Charlie Hebdo, ...



... tout en restant qui je suis.

QUI SUIS-JE ?

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